Rose et Sauvageonne

Les jardins étaient paisibles ce jour-ci, propices aux discussions secrètes. C’était pour cette raison que Sibelle était là. Elle souhaitait tuer un peu l’ennui. Revenue depuis près d’un mois de l’Arcaneum, la belle s’ennuyait. Loin des étranges grimoires qu’on lui avait fait lire et des prières qu’elle effectuait chaque jour, elle reprenait peu à peu ses habitudes, ici, à la Cour d’Arcadia. Elle traquait donc les secrets qui couraient dans les jardins, dans les couloirs, partout – peut-être même irait-elle les livrer à son dieu, un jour. Elle s’éloignait de sa foi – elle ignorait si elle devait croire en Ashir, alors elle se taisait à ce sujet. De toute manière, seule sa famille était au courant des dieux que vénéraient les Andores.

Assise sur un banc, trop bien vêtue pour que quiconque doute de sa puissance, elle lisait – et ladite puissance était ce qui lui permettait de ne pas être dérangée. Nul ignorait qui elle était ; une Andores et, pire encore, Sibelle – la préférée de Janelle, mais aussi la préférée de Mirak selon certains. Personne n’osait donc la déranger – personne n’osait la défier, ici, chez elle.

Le livre qu’elle tenait était bien peu intéressant, il s’agissait simplement d’un homme à l’imagination débordante, imaginant à quoi pouvait bien ressembler le passé de Nihilium – il imaginait donc ce qu’il était arrivé avant l’ère première – un univers fabuleux, peuplé de gnomes, lutins ou encore de dragons. Rien de réel.
Et puisque le manuscrit qu’elle lisait pouvait être qualifié d’inintéressant, il lui fallait une meilleure distraction – le livre ne fut plus qu’une couverture lorsqu’elle se mit à écouter les conversations autour d’elle. Entre autres, elle entendit une lady pleurer dans les bras d’une autre en lui expliquant qu’elle s’était laissée déflorer, et qu’aucun homme ne voudrait plus d’elle. Sibelle sourit à cette pensée – à Alcantra, rares étaient les idiots qui la pensaient encore vierge. Et pourtant, elle restait destinée au plus beau mariage – nul n’en doutait. Un jour, elle serait Reine.

– Sibelle ?

Elle leva la tête vers Janelle, qui venait de la rejoindre et avait un bien étrange sourire en coin. Haussant les sourcils, Sibelle l’interrogea du regard.

– Lady Adriana est arrivée.

Sibelle hocha la tête, et marcha auprès de sa grand-mère jusqu’à atteindre les portes du château d’Alcantra. A sa connaissance, Adriana n’était jamais venue ici. La jeune femme arriva très vite, et elle découvrit, en bas des marches du palais, une jeune fille. Jolie de visage, mais son corps était encore celui d’une enfant, elle n’était pas bien vêtue et ses cheveux étaient catastrophiques. Pourtant d’un joli roux, ils étaient négligemment emmêlés, et mal coiffés. Parsemés de quelques tresses, ils étaient indignes d’une lady. Sibelle demanda à Janelle s’il s’agissait réellement de sa dame de compagnie – et par malheur, Janelle acquiesça.

Sibelle colla sur ses lèvres un sourire ayant l’air des plus sincères, ses yeux clairs se posant sur Adriana à mesure que le griffon descendait les marches, rejoignant la jeune fille. Elle la salua d’une inclinaison cordiale de la tête.

– Lady Adriana, c’est un plaisir de vous accueillir à Alcantra.

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Rose et Sauvageonne

La petite parlait trop, trop vite et pas assez bien. Elle était sans arrêt hésitante, et son joli minois n’allait pas l’aider. Elle avait l’air d’une sauvageonne plus qu’une dame, et cela démangeait Sibelle. Elle avait envie de s’emparer d’une brosse et de l’enfouir dans la chevelure de la jeune fille, d’en démêler tous les nœuds, de lui faire enfiler une robe digne des Cendrarc de Revlas, et de la secouer jusqu’à ce que les bonnes manières entrent dans sa caboche, qu’elle sache comment se tenir. Elle n’avait d’autre choix.

– Je n’en doute pas, dit-elle le plus calmement possible lorsqu’Adriana se tut enfin. Vous avez beaucoup à apprendre.

Du coin de l’œil, elle aperçut le regard espiègle de Janelle. Celle-ci la regardait avec affection et fierté ; elle savait que Sibelle saurait faire d’elle une dame. La belle rose d’Alcantra commença à tourner lentement autour d’Adriana, observant ses cheveux mal coiffés, sa robe froissée, sa mauvaise posture. Elle plongea son regard dans le sien, puis posa sa main contre son dos pour la pousser légèrement.

– Redressez-vous. Les épaules droites.

Elle soupira.

– Plus haut, votre menton. Restez toujours droite.

Elle expira lentement, leva les yeux au ciel en la maintenant droite comme elle devrait l’être – ses yeux clairs se posèrent avec autorité sur le corps de la jeune fille. Elle était encore jeune, n’avait pas encore les courbes d’une femme.

– Vous avez treize, quatorze ans ?, demanda-t-elle. Vous êtes encore jeune, à peine plus que moi. Mais je suis une femme, là où vous êtes encore une petite fille.

Son regard était froid, et suffisamment clair pour qu’Adriana comprenne qu’elle n’avait pas le choix. L’enfant deviendrait, qu’elle le veuille ou non, une femme. Sibelle lui sourit doucement.

– Ne vous inquiétez pas. Je vais vous aider à devenir une femme. J’ai moi-même reçu une éducation particulière, que je peux vous enseigner. Je peux vous transmettre ce que je sais.

Elle tourna légèrement les yeux vers Janelle, qui salua Adriana d’un signe de tête, adressa un sourire amusé à Sibelle, puis disparut dans le château. La belle blonde regarda la jeune fille avec un sourire en coin.

– Peu importe. Pour l’heure, laissez-moi vous montrer votre chambre. Vos affaires seront portées par les serviteurs un peu plus tard.

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